Depuis plusieurs saisons, les publications issues de tendances virales TikTok ou Instagram s’imposent dans les stratégies des écuries. Selon une étude menée par Gaspard Massot, analyste au département Social Intelligence de l’agence We Are Social, 25 % des 100 posts les plus engageants publiés entre 2021 et 2025 proviennent directement de trends sociales — un chiffre qui témoigne du virage culturel opéré dans le paddock.
« Ces dynamiques redistribuent les cartes, parfois à contre-courant de la performance en piste », observe Gaspard Massot.
Les chiffres parlent d’eux-mêmes :
- Chez Red Bull, les contenus reprenant des trends sont 426 % plus engageants que les publications classiques. Un simple détournement de trend (#TeamConrad) a généré 1,5 million d’engagements, quand un post célébrant un double podium enregistre une baisse de 80 %.
- Ferrari, de son côté, signe l’un de ses contenus les plus populaires des cinq dernières années… en invitant le créateur Khaby Lame dans le paddock, sans aucune référence à la course ou à ses pilotes.
- Quant à Visa Cash App Racing Bulls (VCARB), 70 % de ses posts les plus engageants en 2025 sont issus de trends TikTok, faisant de la jeune écurie un acteur aussi attendu pour ses contenus que pour ses résultats.
Des audiences plus jeunes, plus sociales
Depuis le rachat de la F1 par Liberty Media en 2017, le sport a profondément transformé sa manière de se raconter. Les réseaux sociaux ont multiplié par six la base de fans actifs depuis 2018, et le profil du public s’est rajeuni à vitesse grand V : 43 % des fans de F1 ont moins de 35 ans en 2025 (+20 % en un an).
Chez les 18-24 ans, près de 70 % déclarent suivre la F1 principalement via les réseaux sociaux. Cette évolution traduit une mutation profonde : la F1 n’est plus seulement un sport de performance, c’est désormais un univers de divertissement et de narration. Les trends deviennent alors des passerelles entre le paddock et cette génération connectée, offrant :
-des pilotes plus humains et spontanés ;
-des formats courts, humoristiques, natifs des plateformes ;
-une approche moins technique, plus émotionnelle.
Quand l’humour supplante la performance
Les exemples se multiplient :
- Chez McLaren, les pilotes jouent des trends viraux pour afficher complicité et bonne humeur, gommant les rivalités internes inhérentes à la compétition.
- Alpine, en 2023, génère 30 fois plus d’engagement avec une vidéo humoristique reprenant la trend “Let Him Cook” qu’avec le post célébrant la 4ᵉ place d’Esteban Ocon à Las Vegas.
- Même en cas de victoire, la trend prime : la publication “Giga Chad” a fait 3,5 fois plus d’engagements que la célébration officielle.
Chez les équipes moins performantes, ces trends deviennent un levier vital de visibilité. L’exemple de Valtteri Bottas, alors pilote de Stake F1 Team, est éloquent : ses vidéos humoristiques virales ont fait briller son écurie sur les réseaux malgré une saison sportive sans point au classement.
VCARB, championne de l’engagement social
L’écurie Visa Cash App Racing Bulls incarne cette nouvelle génération.
Avec un line-up jeune et un ton résolument décalé, elle a fait des trends un pilier stratégique de sa communication. En 2025, ses vidéos #lipsync cumulant plusieurs millions d’engagements sont devenues un rendez-vous attendu chaque week-end. Dans un sport historiquement codifié, VCARB assume une ligne plus pop, proche de l’humour Internet, et séduit une audience qui valorise désormais la personnalité et la créativité autant que la vitesse.
Une bataille d’attention aussi serrée que sur la piste
Dans un contexte où les fans délaissent les médias traditionnels au profit des plateformes, la F1 se réinvente en média à part entière. Les équipes rivalisent désormais non seulement en performance mécanique, mais aussi en créativité éditoriale. À l’horizon 2026, la nouvelle réglementation technique pourrait bien niveler les performances sportives… mais sur la piste du social media, la course à l’attention promet d’être tout aussi disputée.
Les trends social media ne sont plus de simples phénomènes viraux : elles sont devenues un levier stratégique pour les écuries, les sponsors et les médias. Dans un sport où la technologie et la précision régnaient sans partage, l’humour, la spontanéité et la proximité s’imposent désormais comme les nouveaux moteurs de performance.
Alain Jouve