La désignation de Julien Leclercq reflète l’importance accordée par Decathlon à son modèle familial et à ses valeurs historiques. Cette nomination fait suite à un processus de sélection approfondi par les actionnaires, mené sur plusieurs mois, et initié après l’élection de Fabien Derville au conseil de gérance de l’AFM en mai 2024. Selon les règles internes du groupe, un membre de l’AFM ne peut pas cumuler cette fonction avec la présidence d’une enseigne du groupe, d’où la nécessité de ce passage de relais. L’arrivée de Julien Leclercq à la tête de Decathlon peut être perçue comme un retour à l’ADN d’une entreprise qui a toujours revendiqué une vision à long terme, loin des logiques de rentabilité immédiate. « La philosophie de la famille, ce n’est pas nécessairement de générer du cash au plus vite mais d’être encore là dans cent ans », souligne Sébastien Chauvin, délégué syndical central CFDT.
Un héritier du terrain, ancré dans l’expansion internationale
Avant d’être nommé à la tête de l’entreprise, Julien Leclercq a occupé plusieurs postes au sein du groupe. Membre du conseil d’administration, il compte une « expérience de 20 ans chez Decathlon », où il a débuté comme chef de rayon dans un magasin Decathlon à Barcelone (2008-2010), avant de devenir gérant d’un magasin en Belgique. En 2012, il rejoint le pôle international de l’enseigne, basé à Singapour, où il contribue à l’expansion du groupe en Asie. Son expérience dépasse le cadre strict de la distribution, puisqu’il est également à la tête de Genairgy, un fonds d’investissement spécialisé dans le sport et les loisirs, et a participé au lancement de Decathlon Travel, une filiale dédiée aux voyages sportifs.
Une direction solide pour une «marques de sport»
La directrice générale de l’enseigne est depuis janvier 2022 Barbara Martin Coppola, franco-espagnole passée par Ikea, Google ou encore YouTube. Elle a lancé un plan stratégique visant à positionner Decathlon non plus seulement comme une chaîne de magasins, mais comme une « marque de sport ».
Si la transition se veut fluide, Julien Leclercq hérite d’une entreprise confrontée à plusieurs enjeux stratégiques. En novembre 2024, Decathlon a été pointé du doigt après le versement d’un milliard d’euros de dividendes à l’AFM, alors qu’Auchan, une autre enseigne du groupe, annonçait simultanément un plan social massif. Cette décision a suscité des critiques, certaines y voyant une contradiction entre la vision familiale revendiquée et la réalité économique du groupe. De plus, l’enquête conjointe de Disclose et Cash Investigation a révélé que certains sous-traitants de Decathlon auraient eu recours au travail forcé des Ouïghours. Bien que l’entreprise ait nié tout lien direct, ces accusations mettent en lumière la nécessité d’un contrôle accumulé des chaînes d’approvisionnement.
Un positionnement prix sous pression
Historiquement, Decathlon s’est imposé comme le leader mondial du sport accessible, grâce à des prix compétitifs. Cependant, la flambée des coûts de production et la montée des exigences environnementales pourraient remettre en cause cette stratégie. Certains produits phares, comme les vélos B’Twin ou les tentes Quechua, ont déjà connu des augmentations tarifaires, justifiées par l’utilisation de matériaux plus responsables. L’équilibre entre engagement écologique et maintien de prix bas sera un défi majeur.
Une gouvernance toujours sous l’emprise de l’AFM
Le rôle de l’Association Familiale Mulliez reste déterminant dans les orientations de Decathlon. L’AFM, qui contrôle 300 entreprises réalisant un chiffre d’affaires cumulé de 100 milliards d’euros et employant entre 600 000 et 700 000 salariés, maintient une gestion fondée sur la transmission intra-familiale. La nomination de Julien Leclercq s’inscrit dans cette logique, tout comme la création d’un « comité relève », instance interne visant à préparer la nouvelle génération familiale à assumer des responsabilités stratégiques. Fabien Derville, en quittant Decathlon, prend justement la tête de ce comité, assurant une continuité dans l’encadrement des futurs dirigeants.
Régulièrement classé parmi les enseignes préférées des Français, Decathlon a été accusé début janvier par deux médias, Disclose et l’émission de France 2 ‘Cash Investigation’, de bénéficier du travail forcé de Ouïghours en Chine. Le numéro un français des articles de sport et mastodonte mondial, qui revendique 100.000 salariés et 1.700 magasins dans plus de 70 pays, avait réagi en condamnant « avec fermeté toute forme de travail forcé ». Cash Investigation s’était aussi intéressé au statut de l’Association familiale Mulliez (AFM), qui contrôle de nombreuses enseignes et qui rassemble près de 900 membres de la famille. L’AFM « n’a pas – malgré son nom – le statut juridique d’association », avait-elle indiqué à l’AFP. Cette dernière n’a même « pas de personnalité juridique ».
Si l’arrivée de Julien Leclercq est perçue comme un retour aux sources, elle ne garantit pas une transition sans heurts. « Nous serons vigilants car souvent, chez Decathlon, quand il y a un changement de patron, on entre dans une période de turbulences », prévient Sébastien Chauvin de la CFDT.
L’année 2025 sera donc un tournant pour Decathlon, qui devra prouver sa capacité à concilier héritage familial, modernisation et responsabilité sociétale dans un environnement en pleine mutation.